> Sartre, Jean-Paul. _L'existentialisme est un humanisme_. Gallimard, 1996.
# L'existentialisme est un humanisme
- **Critiques adressées à l'existentialisme : demeurer dans un quiétisme du désespoir, souligner l'ignominie humaine, "chacun peut faire ce qu'il veut".**
- **==Existentialisme : doctrine qui rend la vie humaine possible et déclare que toute vérité et toute action impliquent un milieu et une subjectivité humaine.==**
- Ce qui fait peur, n'est-ce pas le fait que **l'existentialisme laisse une possibilité de choix à l'homme** ?
- **==L'existence précède l'essence==**, ie, **il faut partir de la subjectivité.**
- Essence : ensemble des recettes et des qualités qui permettent de produire et définir quelque chose, un coupe-papier par exemple.
- Chez les philosophes du XVIIe siècle :
- Le concept d'homme dans l'esprit de Dieu est comme le concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel.
- Même chez Diderot et Voltaire, qui sont athées, l'homme est encore possesseur d'une nature humaine, d'un concept humain.
- **==L'existentialisme athée déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence : l'homme.==**
- **L'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde ; il se définit en second lieu.**
- Si l'homme n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait.
- **L'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir.**
- L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement ; rien n'existe préalablement à ce projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être. Non pas ce qu'il voudra être.
- ==**Mais si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Et nous ne voulons pas dire que l'homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu'il est responsable de tous les hommes.**==
- Subjectivisme veut dire d'une part choix du sujet individuel par lui-même, et d'autre part **impossibilité pour l'homme de dépasser la subjectivité humaine**. C'est le second sens qui est le sens profond de l'existentialisme.
- Choisir d'être ceci ou cela, c'est affirmer en même temps la valeur de ce que nous choisissons, car nous ne pouvons jamais choisir le mal ; **ce que nous choisissons, c'est toujours le bien, et rien ne peut être bon pour nous sans l'être pour tous.**
- Si nous voulons exister en même temps que nous façonnons notre image, cette image est valable pour tous et pour notre époque toute entière : **notre responsabilité engage l'humanité entière.**
- Si je suis ouvrier, et si je choisis d'adhérer à un syndicat chrétien plutôt que d'être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la résignation est la solution qui convient à l'homme et que le royaume de l'homme n'est pas sur la terre, je n'engage pas seulement mon cas ; je veux être résigné pour tous, et ma démarche a engagé l'humanité toute entière.
- ==**Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l'homme que je choisis ; en me choisissant, je choisis l'homme.**==
- Angoisse, délaissement et désespoir :
- ==**L'homme est angoisse**== : **un homme qui s'engage et qui se rend compte qu'il est non seulement ce qu'il choisit d'être, mais encore un législateur choisissant en même temps que soi l'humanité toute enitère, ==ne saurait échapper au sentiment de sa totale et profonde responsabilité.==**
- On doit toujours se demander : qu'arriverait-il si tout le monde en faisait autant ? et **on n'échappe à cette pensée inquiétante que par une sorte de mauvaise foi.**
- Un ange a ordonné à Abraham de sacrifier son fils : tout va bien si c'est vraiment un ange qui est venu et qui a dit : tu es Abraham, tu sacrifieras ton fils. Mais chacun peut se demander d'abord : est-ce que c'est bien un ange, et est-ce que je suis bien Abraham ? Je ne trouverai jamais aucune preuve, aucun signe pour m'en convaincre.
- **==Si je considère que tel acte est bon, c'est moi qui choisirai de dire que cet acte est bon plutôt que mauvais.==**
- Tout se passe comme si, pour tout homme, toute l'humanité avait les yeux fixés sur ce qu'il fait et se réglait sur ce qu'il fait. **Et chaque homme doit se dire : suis-je bien celui qui a le droit d'agir de telle sorte que l'humanité se règle sur mes actes ?** Et s'il ne se dit pas cela, c'est qu'il se masque l'angoisse.
- Lorsqu'un chef militaire prend la responsabilité d'une attaque et envoie ses hommes à la mort, il choisit de le faire, et au fond il choisit seul. **Tous les chefs connaissent cette angoissse. Cela ne les empêche pas d'agir, au contraire, c'est la condition même de leur action** ; car cela suppose qu'ils envisagent une pluralité de possibilités, et **lorsqu'ils en choisissent une, ils se rendent compte qu'elle n'a de valeur que parce qu'elle est choisie.**
- **==Délaissement : si Dieu n'existe pas, alors il faut en tirer les conséquences.==**
- Vers 1880, la morale laïque voulait supprimer l'hypothèse de Dieu mais garder certaines valeurs considérées comme existant _a priori_ ; il fallait qu'il soit obligatoire _a priori_ d'être honnête, de ne pas battre sa femme, de faire des enfants, etc.
- **L'existentialiste, au contraire, pense qu'il est très gênant que Dieu n'existe pas, car avec lui disparaît toute possibilité de trouver des valeurs dans un ciel intelligible** ; il ne peut plus y avoir de bien _a priori_, puisqu'il n'y a pas de conscience infinie et parfaite pour le penser ; il n'est écrit nulle part que le bien existe, qu'il faut être honnête, qu'il ne faut pas mentir, puisque précisément nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes.
- **==Dostoïevsky avait écrit : "Si Dieu n'existait pas, tout serait permis." C'est là le point de départ de l'existentialisme.==** En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. **Il ne trouve d'abord pas d'excuses.**
- **Nous sommes seuls, sans excuses : ==l'homme est condamné à être libre==.** Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait.
- L'existentialiste ne pensera pas que l'homme peut trouver un secours dans un signe donné, sur terre, qui l'orientera ; car ==**il pense que l'homme déchiffre lui-même le signe comme il lui plaît.**==
- Exemple : en 1940, un jeune homme qui avait le choix entre s'engager dans les Forces Françaises Libres ou demeurer auprès de sa mère, qui ne survivrait peut-être pas toute seule. Il hésitait entre deux types de morale : une morale de la sympathie, du dévouement individuel, et une morale plus large, mais d'une efficacité plus contestable. Qui pouvait l'aider à choisir ? La doctrine chrétienne ? Non. La doctrine chrétienne dit : soyez charitable, aimez votre prochain, choisissez la voie la plus rude… **Mais quelle est la voie la plus rude ? Qui peut en décider _a priori_ ? Personne. Aucune morale inscrite ne peut le dire.**
- Je puis dire : j'aime assez ma mère pour rester auprès d'elle, si je suis en effet resté auprès d'elle. Je ne puis déterminer la valeur de cette affection que si, précisément, j'ai fait un acte qui l'entérine et qui la définit. Or, comme je demande à cette affection de justifier mon acte, je me trouve entraîné dans un cercle vicieux. **Le sentiment se construit par les actes qu'on fait ; je ne puis le consulter pour me guider sur lui.**
- Si vous cherchez un conseil auprès d'un prêtre par exemple, vous avez choisi ce prêtre, vous saviez déjà, au fond, plus ou moins, ce qu'il allait vous conseiller. ==**Choisir le conseilleur, c'est encore s'engager soi-même.**== Ainsi, en venant me trouver, ce jeune homme savait la réponse que j'allais lui faire, et je n'avais qu'une réponse à lui faire : vous êtes libre, choisissez, c'est-à-dire inventez.
- **Le délaissement implique que nous choisissons nous-mêmes notre être. Le délaissement va avec l'angoisse.**
- ==**Le désespoir veut dire que nous nous bornerons à compter sur ce qui dépend de notre volonté, ou sur l'ensemble des probabilités qui rendent notre action possible.**==
- Je puis compter sur des camarades de lutte dans la mesure où ces camarades sont engagés avec moi dans une lutte concrète et commune : **compter sur l'unité et sur la volonté de mon parti, c'est exactement compter sur le fait que le train ne déraillera pas.**
- Mais je ne puis pas compter sur des hommes que je ne connais pas en me fondant sur la bonté humaine ou sur l'intérêt de l'homme pour le bien de la société, étant donné que **l'homme est libre, et qu'il n'y a aucune nature humaine sur laquelle je puisse faire fond.**
- Demain, après ma mort, mes camarades peuvent décider d'établir le fascisme, et les autres peuvent être assez lâches pour les laisser faire ; **à ce moment-là, le fascisme sera la vérité humaine, et tant pis pour nous** ; en réalité, les choses seront telles que l'homme aura décidé qu'elles soient.
- ==**Est-ce que ça veut dire que je doive m'abandonner au quiétisme ? Non. D'abord je dois m'engager, ensuite agir selon la vieille formule "il n'est pas besoin d'espérer pour entreprendre".**== **Si je me demande : la collectivisation arrivera-t-elle ? Je n'en sais rien, je sais seulement que tout ce qui sera en mon pouvoir pour la faire arriver, je le ferai ; en dehors de cela, je ne puis compter sur rien.**
- **Le quiétisme consiste à dire que les autres peuvent faire ce que je ne peux pas faire. ==L'existentialisme en est un complet opposé, car il déclare qu'il n'y a de réalité que dans l'action ; l'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie.==**
- Évidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu'un qui n'a pas réussi sa vie. Mais d'autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés ; ça le définit en négatif et non en positif. **Nous voulons dire qu'un homme n'est rien d'autre qu'une série d'entreprises, qu'il est la somme, l'organisation, l'ensemble des relations qui constituent ces entreprises.**
- Zola déclare qu'un homme est lâche à cause de l'hérédité, de l'action du milieu, de la société, d'un déterminisme organique ou psychologique. **Au contraire, l'existentialiste dit que ce lâche est responsable de sa lâcheté.** Il n'a pas un cœur, un poumon ou un cerveau lâche, il n'est pas comme ça à partir d'une organisation physiologique mais il est comme ça parce qu'il s'est construit comme lâche par ses actes.
- **Ce que les gens sentent obscurément et qui leur fait horreur, c'est que le lâche que nous présentons est coupable d'être lâche. Ce que les gens veulent, c'est qu'on naisse lâche ou héros.** Ce que les gens souhaitent penser, c'est que, si vous naissez lâche, vous serez tranquilles, vous n'y pouvez rien, vous serez lâches toute votre vie, quoi que vous fassiez. Idem si vous naissez héros, vous serez héros toute votre vie, vous boirez comme un héros, vous mangerez comme un héros.
- **Ce que dit l'existentialiste, c'est que le lâche se fait lâche, que le héros se fait héros ; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche, et pour le héros de ne plus être un héros.**
- **L'existentialisme n'est donc pas une philosophie du quiétisme, puisqu'il définit l'homme par l'action ; ni une description pessimiste de l'homme puisque le destin de l'homme est en lui-même ; ni une tentative pour décourager l'homme d'agir puisqu'il n'y a d'espoir que dans son action et que la seule chose qui permette à l'homme de vivre, c'est l'acte.**
- On nous reproche de murer l'homme dans sa subjectivité individuelle : là encore on nous comprend fort mal. Notre point de départ est en effet la subjectivité de l'individu, et ceci pour des raisons strictement philosophiques : **nous voulons une doctrine fondée sur la vérité, et non un ensemble de belles théories, pleines d'espoir mais sans fondements réels.**
- ==**La seule vérité absolue est celle-ci : _je pense donc je suis_.**== Elle est simple, facile à atteindre, à la portée de tout le monde ; elle consiste à se saisir sans intermédiaire.
- Tout matérialisme a pour effet de traiter tous les hommes, y compris soi-même, comme des objets. **Nous voulons constituer précisément le règne humain comme un ensemble de valeurs distinctes du règne matériel.**
- Par le _je pense_, contrairement à Descartes et Kant, **nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes.**
- **Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre.** L'autre est indispensable à mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi. Nous découvrons alors le monde de l'intersubjectivité, et c'est dans ce monde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres.
- En outre, s'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, ==**il existe pourtant une universalité humaine de _condition_.**==
- Nous entendons par condition **l'ensemble des limites _a priori_ qui esquissent la situation fondamentale de l'homme dans l'univers.** Les situations historiques varient ; **ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour l'homme d'être dans le monde.**
- ==**Il y a universalité de tout projet au sens où tout projet est compréhensible pour tout homme.**== Ce qui ne signifie nullement que ce projet définisse l'homme pour toujours, mais qu'il peut être retrouvé. Il y a toujours une manière de comprendre l'idiot, l'enfant, le primitif, l'étranger, pouvu qu'on ait les renseignements suffisants. L'universalité de l'homme n'est donc pas donnée mais perpétuellement construite. **Je construis l'universel en me choisissant ; je le construis en comprenant le projet de tout autre homme, de quelque époque qu'il soit. Cet absolu du choix ne supprime pas la relativité de chaque époque.**
- On nous dit, alors vous pouvez faire n'importe quoi, vous ne pouvez pas juger les autres, tout est gratuit dans ce que vous choisissez.
- "Vous pouvez faire n'importe quoi."
- ==**Le choix est possible dans un sens, mais ce qui n'est pas possible, c'est de ne pas choisir.**== **Je peux toujours choisir, mais je dois savoir que si je ne choisis pas, je choisis encore.** Ceci, quoique paraissant strictement formel, a une très grande importance, pour limiter la fantaisie et le caprice.
- A-t-on jamais reproché à un artiste qui fait un tableau de ne pas s'inspirer des règles établies _a priori_? A-t-on jamais dit quel est le tableau qu'il doit faire ? Nous sommes dans la même situation créatrice. Nous ne parlons jamais de la gratuité d'une oeuvre d'art.
- **L'homme se fait ; il n'est pas tout fait d'abord, il se fait en choisissant sa morale, et la pression de circonstances est telle qu'il ne peut pas ne pas en choisir une.**
- "Vous ne pouvez pas juger les autres."
- **C'est vrai en ce sens que, chaque fois que l'homme choisit son engagement et son projet en toute sincérité et en toute lucidité, il est impossible de lui en préférer un autre** ; nous ne croyons pas au progrès ; le progrès est une amélioration ; l'homme est toujours le même en face d'une situation qui varie et le choix reste toujours un choix dans une situation.
- Mais on peut juger, cependant, car on choisit en face des autres, et on _se_ choisit en face des autres. **On peut juger d'abord que certains choix sont fondés sur l'erreur et d'autres sur la vérité (jugement logique) ; on peut juger qu'un homme est de mauvaise foi.**
- **==Tout homme qui invente un déterminisme est un homme de mauvaise foi.==** Pourquoi ne se choisirait-il pas de mauvaise foi ? Je n'ai pas à le juger moralement, mais je définis sa mauvaise foi comme une erreur. **La mauvaise foi est un mensonge car elle dissimule la totale liberté de l'engagement.** Je dirai qu'il y aussi mauvaise foi si je choisis de déclarer que certaines valeurs existent avant moi, si à la fois je les veux et déclare qu'elles s'imposent à moi.
- Si l'on me dit : et si je veux être de mauvaise foi ? Je répondrai : il n'y a aucune raison pour que vous ne le soyez pas, mais je déclare que vous l'êtes, et que l'attitude de stricte cohérence est l'attitude de bonne foi.
- En outre, je peux porter un jugement moral. ==**Si l'homme a reconnu qu'il pose des valeurs dans le délaissement, il ne peut plus vouloir qu'une chose, c'est la liberté comme fondement de toutes les valeurs.**== Il ne la veut pas dans l'abstrait ; les actes des hommes de bonne foi ont comme ultime signification la recherche de la liberté en tant que telle. Un homme veut des buts concrets ; ces buts impliquent une volonté abstraite de liberté, mais cette liberté se veut dans le concret.
- Et en voulant la liberté, nous découvrons qu'elle dépend entièrement de la liberté des autres, et que la liberté des autres dépend de la nôtre. ==**Dès qu'il y a engagement, je suis obligé de vouloir en même temps que ma liberté la liberté des autres ; je ne puis prendre ma liberté pour but que si je prends également celle des autres pour but.**==
- Ainsi je puis former des jugements sur ceux qui visent à se cacher la totale gratuité de leur existence et sa totale liberté. Les uns qui se cacheront, par l'esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches ; les autres qui essaieront de montrer que leur existence était nécessaire, alors qu'elle est la contingence même de l'apparition de l'homme sur terre, je les appellerai des salauds. Mais lâches ou salauds ne peuvent être jugés que sur le plan de la stricte authenticité. Ainsi, bien que le contenu de la morale soit variable, une certaine forme de cette morale est universelle.
- "Tout est gratuit."
- Je suis bien fâché qu'il en soit ainsi, mais si j'ai supprimé Dieu le père, il faut bien quelqu'un pour inventer les valeurs. **==Dire que nous inventons les valeurs signifie que la vie n'a pas de sens, _a priori_.== Avant que vous ne viviez, la vie n'est rien, mais c'est à vous de lui donner un sens, et la valeur n'est pas autre chose que ce sens que vous choisissez. Par là vous voyez qu'il y a possibilité de créer une communauté humaine.**
- Le mot humanisme a deux sens très différents : on peut d'abord entendre une théorie qui prend l'homme comme fin et comme valeur supérieure. Cet humanisme est absurde car seul le chien ou le cheval pourraient porter un jugement d'ensemble sur l'homme, mais on ne peut admettre qu'un homme puisse porter un jugement sur l'homme. L'existentialisme le dispense de tout jugement de ce genre : l'existentialiste ne prendra jamais l'homme comme fin, car il est toujours à faire.
- **L'autre sens de l'humanisme signifie au fond que l'homme est constamment hors de lui-même ; c'est en se projetant et en se perdant hors de lui qu'il fait exister l'homme et d'autre part, c'est en poursuivant des buts transcendants qu'il peut exister.** L'homme, étant ce dépassement et ne saisissant les objets que par rapport à ce depassement, est au cœur de ce depassement. ==**Il n'y a pas d'autre univers qu'un univers humain, l'univers de la subjectivité humaine.**==
- Cette liaison de la transcendance, au sens de dépassement, comme constitutive de l'homme, et de la subjectivité, au sens où l'homme n'est pas enfermé sur lui-même mais présent toujours dans un univers humain, c'est ce que nous appelons l'humanisme existentialiste. Humanisme, parce l'homme n'a d'autre législateur que lui-même, et c'est dans le délaissement qu'il décidera de lui-même ; et parce que nous montrons que c'est toujours en cherchant hors de lui un but qui est telle libération, telle réalisation particulière, que l'homme se réalisera précisément comme humain.
- ==**L'existentialiste n'est finalement pas autre chose qu'un effort pour tirer toutes les conséquences d'une position athée cohérente.**== Il ne cherche pas du tout à plonger l'homme dans le désespoir. Mais si on appelle désespoir toute attitude d'incroyance, alors il part bien du désespoir originel.
- ==**L'existentialisme n'est pas un athéisme au sens où il s'épuiserait à démontrer que Dieu n'existe pas. Il déclare plutôt : même si Dieu existait, ça ne changerait rien ; voilà notre point de vue.**== Non pas que nous croyions que Dieu existe, mais nous pensons que le problème n'est pas celui de son existence ; il faut que l'homme se retrouve lui-même et se persuade que rien ne peut le sauver de lui-même, fût-ce une preuve valable de l'existence de Dieu.
- ==**En ce sens, l'existentialisme est un optimisme, une doctrine d'action**==, et c'est seulement par mauvaise foi que, confondant leur propre désespoir avec le nôtre, les chrétiens peuvent nous appeler désespérés.